Hans Dieter Huber
Matthias Hoch - Au rythme des systèmes techno

First Installation: 05.12.1998 Last Update: 11.12.1998

erschienen in: Ausstellungskatalog Matthias Hoch - Speicher. Dogenhaus Galerie Leipzig, Goethe Institut Paris 1998/99; o.S

Il existe au moins deux différentes façons de lire une oeuvre d'art: la lecture directe, littérale et la lecture figurée, méthaphorique. La lecture figurée que l'on peut également appeler interprétation métaphorique ou symbolique d'un tableau est toujours basée sur la surface picturale directement visible et observable quasi littéralement. Voilà pourquoi, si l'on veut saisir les rapports ou références symboliques de l'image, il faut d'abord faire ressortir les structures sémantiques de la surface immédiatement accessible au regard. La lecture littérale d'une image concerne sa présence concrète en un lieu et à un moment donnés en face d'un spectateur physique. C'est ainsi que toute perception artistique est historique puisque liée une fois pour toutes aux catégories a priori d'espace, de temps et de corps. Les photographies de Matthias Hoch peuvent se lire des deux façons, littéralement et symboliquement.

Surfaces La principale composante d'une photographie pour sa perception est sa surface extérieure. Du point de vue de la théorie du-système; on peut considérer les surfaces comme des plans de séparation entre un système et un médium.1 C'est à la surface d'une photographie que l'on peut observer et caractériser les différences déterminantes pour la perception de l'art. Matthias Hoch a réalisé ses dernières photographies en utilisant le procédé diasec.

Il s'agit là d'une combinaison plane et indéfiniment élastique de papier photo ou de pellicule diapo et d'un verre acrylique. Ce procédé a été élaboré dans les années 70 par le chimiste suisse Heinz Sovilla-Brulhart. Le papier photo est entièrement collé à l'aide d'un produit spécial derrière un verre acrylique qui arrête les ultraviolets. L'important est que la lumière soit différemment réfractée sur la surface du papier à travers le verre acrylique qu'à travers un passe-partout et une plaque de verre. Le taux de dispersion de la lumière diffusément réfractée est plus élevé sur des papiers photo mats que dans le diasec. Grâce à la relative homogénéité du verre acrylique, la lumière est ici réfractée avec un plus petit taux de dispersion. Ainsi, les couleurs apparaissent plus vives, plus brillantes, plus profondes. De plus, l'encadrement traditionnel d'une photo constitué d'un passe-partout et d'une plaque de verre crée entre elle et l'úil du spectateur une distance qui n'est pas seulement spatiale, mais également émotionnelle, intuitive ou sémantique. La présentation d'une photographie, sa surface, sa matérialité et sa distance optique détermine pour une large mesure la forme spécifique de la génèse sémantique de la photo.

Formats D'un point de vue purement formel, il y a trois sortes de formats photographiques en rapport avec la taille d'un spectateur: le format plus petit, le plus grand et le format égal. Les formats de taille humaine confrontent le spectateur à un rapport 1:1 qui les place sur un pied d'égalité avec lui. Par contre, contrôlés et dominés par le regard du spectateur, les formats inférieurs sont assujettis au contrôle de celui-ci. Quand aux formats supérieurs, ils fonctionnent de manière inverse. Par leur taille, ce sont eux qui soumettent le corps et le regard d'un spectateur au contrôle de l'image en tant que système. Dans les mouvements de ses yeux et dans ses observations, le spectateur est maintenu prisonnier et dominé par la logique spécifique de l'image-système.

Les grands formats de Matthias Hoch sont à peine plus petits que la taille d'un homme, c'est-à-dire 150 x 180 cm. Parce qu'ils se laissent embrasser d'un coup d'úil, ils peuvent, certes, être contrôlés par le regard du spectateur, mais seulement si ce dernier reste à une certaine distance. À mesure qu'ils grandissent, ils développent une logique de l'incontrôlable. Phénomène à interpréter aussi bien littéralement que symboliquement. Au fur et à mesure qu'elle échappe complètement au contrôle du regard du spectateur, la photo acquiert sa propre autonomie, sa propre logique de pouvoir visuel. Les grands formats cherchent à s'approprier le regard du spectateur de la même façon que les dispositifs des systèmes fonctionnels technologiques s'approprient et assujettissent l'individualité incontrôlable de l'homme. Tel est le message esthétique qui émane de la matérialité des formats. Pourtant, en néo-humaniste, Matthias Hoch laisse au spectateur un reste de pouvoir visuel et d'autonomie grâce à ses petits formats (84 x 100 cm et 100x 120 cm). Mais, théoriquement, on peut aussi imaginer des variantes plus dures, dans lesquelles le regard du spectateur est totalement livré à l'image-système.

Couleur Les couleurs tiennent un rôle important dans l'úuvre de Matthias Hoch. D'ailleurs, en 1988, avant même l'ouverture du mur, il a été un des premiers en RDA à travailler avec la couleur, délaissant l'idéologie du reportage en noir et blanc. De récentes recherches sur la physiologie du cerveau font remarquer que notre cognition assimile apparemment séparément les impressions en noir et blanc et les impressions en couleur.2 Les noirs et blancs permettent surtout de déterminer les contours et bordures qu'il est indispensable de reconnaître pour que le corps puisse se mouvoir dans l'espace sans obstacle et sans dommage. Outre la fonction de signaler l'objet et de structurer l'image, les couleurs sont surtout propres donner une atmosphère et à exprimer un contenu. Ce sont précisément les propriétés expressives des couleurs qui, comme il le dit lui-même, importent à Matthias Hoch. Sinon ne pourrait-il pas photographier le même motif en noir et blanc.

Interrogeons-nous donc encore une fois sur la nature des informations supplémentaires spécialement transportées par les couleurs. Pour cela, il faut distinguer entre les propriétés d'atmosphère d'une couleur dans la nature et celles de la couleur d'une machine. Les propriétés suggestives des couleurs de la machine dérivent de la signification des couleurs dans la nature, mais après multiples réfractions, déformations et transpositions. L'atmosphère évoquée par un coquelicot rouge dans l'herbe verte se retrouve, par exemple, plusieurs fois réfractée dans une plaque d'éternit rouge au milieu de plaques d'éternit vertes (photo #22). Dans un espace artificiel d'où la nature, la lumière et l'air sont totalement exclus, les plantes, la lumière du jour et l'air extérieur sont simulés par les couleurs. Les couleurs d'un espace technologique ont au moins trois fonctions cognitives. Premièrement, elles remplissent la fonction de ce qu'on appelle attention getters, d'excitations qui retiennent l'attention ou qui ont un rôle d'avertissement. Deuxièmement, les couleurs &laqno;créent une ambiance» qui fait cesser le bruit d'une salle des machines et suscite un apparent sentiment de bien-être dans un monde entièrement articiel. La troisième fonction est la fonction d'expression. Les couleurs expriment certains contenus émotionels tels que le rationnalisme, la précision, la logique, la froideur, la dureté, l'inexorabilité etc.

Les couleurs des photographies de Matthias Hoch peuvent là aussi se lire littéralement et symboliquement. Littéralement, elles sont reconnues par l'idéologie de la logique photographique comme étant des témoins, des représentantes authentiques d'une réalité incroyable, mais existante. Symboliquement, les propriétés d'atmosphère des couleurs renvoient à une idéologie du pouvoir anonyme, à une logique des systèmes techniques, qui fonctionne automatiquement sans la participation individuelle de l'homme et impitoyablement jusquà ce que tout soit terminé. Les couleurs symbolisent la logique culturelle de la machine, dans laquelle l'homme est le soumis, le &laqno;subjectum».

Points de fuite Pris au sens propre, les points de fuite sont des lieux où l'on peut aller. Matthias Hoch supprime le plus possible ses lieux en reléguant les points de fuite hors du framing, du cadre de ses photos. Symboliquement parlant, cela veut dire que la fuite n'est possible que dans un lieu situé hors de ces dispositifs automatiques et technologiques. Ce point de fuite n'est pas visible, il n'est qu'un espace vide, une incertitude cognitive que le spectateur peut subjectivement combler et compléter avec ses idées. En italien, point de fuite se dit termine: terminus, fin, point final. Le point de fuite est un lieu où se termine la fuite, où s'arrêtent l'espace de la perspective centrale et le temps du regard. Il est le point de la mort du système entier. Mais, dans le même temps, il est aussi la source et le lieu de naissance de toute texture et toute structure. On a là l'interprétation inversée des points de fuite, issue de l'imagination d'un spectateur qui se déplace dans l'espace.3

Frontalité Les photos de Matthias Hoch affrontent le spectateur directement, sans distance ni échappatoire possible. Elles se dressent perpendiculairement sur son chemin et lui barrent le passage. Ce face à face frontal est plus immédiat que les perspectives diagonales. Il n'y a pas de point de fuite dans le sens d'une issue de secours pour l'úil. Ce qui explique, également sur le plan symbolique, que les photos soient inéluctables. Matthias Hoch ne veut donner aucune chance de fuite au spectateur. Pour lui, &laqno;la frontalité ne connaît pas d'issue» et les diagonales sont &laqno;diluées».

Frames Dans ses photographies, les marges servent de bords à ce qui est caché, sur lesquels s'écoule ou afflue la texture de l'image. La bordure blanche du papier photo tient le rôle d'un système de référence qui signifie, pour toutes les couleurs, un point zéro ou un point d'ancrage extérieur, à partir duquel toutes les couleurs sont mises en rapport les unes avec les autres. Le blanc froid du papier figure un cadre qui sert de contexte aux photos. Avec la bordure blanche et froide de la surface du diasec, Matthias Hoch crée un horizon sémantique spécifique de froideur et de clarté qui constitue partout une toile de fond à la perception et qui se perçoit à chaque regard.

Final Dans le rythme visuel des photos, on entend le bruit des machines et on sent le goût du métal qui se manifeste dans les couleurs et les surfaces. Les machines évoquent un rythme cadencé toujours basé sur une pause et un temps, sur la différence entre absence et présence. L'interprétation rythmique de ces photos suggère une cadence perceptible par la vue, l'ouïe et le goût ainsi qu'un rythme que l'on peut voir; entendre et goûter. Voilà ce qui donne aux photographies de Matthias Hoch une dimension multimédia, voire synesthétique. Le rythme de la machine symbolise la cadence de notre époque. Ses photos sont l'expression d'une vitesse virtuelle à laquelle s'adapte notre regard. Nous regardons pour ainsi dire au rythme à cinquante hertz des systèmes techno.

1 Cf. pour plus de détails: Hans Dieter Huber: Oberfläche, Materialität und Medium der Farben; in: Anne Hoormann/Karl Schawelska: Who's afraid of. Zum Stand der Farbforschung. Editions Universitätsverlag, Weimar 1998, p. 67 et suiv.

2 Margaret S. Livingstone: Kunst, Schein und Wahrnehmung; in: Wolf Singer: Gehirn und Kognition, Heidelberg 1992; Karl R. Gegenfurtner: Farbensehen beim Menschen; in: Anne Hoormann/Karl Schawelka: Who's afraid of. Zum Stand der Farbforschung. Editions Universitätsverlag, Weimar 1998, p.24-36

3 Cf. à ce sujet James J. Gibson: Wahrnehmung und Umwelt. Der ökologische Ansatz in der visuellen Wahrnehmung. Munich [et autres] 1982, p. 244-250

Traduction: Françoise Lassebille, Paris



 

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